mise au point [Anakeï, Sacha + libre]

Je remplissais avec mille précautions mon dernier bâton de dynamite pour le sceller solidement et l'entreposer avec les autres dans le sac rigide que je traînait toujours avec moi. Il faisait beau, mais c'était à peine si l'on apercevait un rayon de soleil à travers la ramure des arbres de la forêt. Je dépliais tout de même ma carte, représentant la partie Est d'Euphoria. Une villa y avait été entourée en rouge. Je sortit un deuxième document, un ''blueprint'' de la villa en question, m'attardant à l'arrivée d'eau de la fontaine installée dans la cour avant. Une ombre se projeta sur les papiers et je sentit quelqu'un se pencher par dessus mon épaule.

-Qu'est-ce qu'y a? Tu boudes?
-Je révise les cartes.
-On dirait que tu fais la tête, depuis quelques jours....je suis même certain que ça remonte à notre rencontre avec la demoiselle As...je me trompe?
-Je ne vois pas ce que tu veux dire.
-A-na-keï...

Je levai la tête, indifférent.

-Oublie.
-Ce n'est pas parce que j'ai accepté, pas vrai? Tu me fais assez confiance pour ça, non?
-Évidemment.
-Alors quoi?
-Oublie, j'ai dit.
-AAh!
-Quoi.

Un immense sourire s'étira sur les lèvres de Sacha, tandis qu'une mauvaise impression m'envahissait.

-C'est parce que je lui ai donner nos noms, pas vrai?! C'est ça?

Je roulais les yeux.

-J'avais raison!
-Peu importe, tu as les détails de Sa requête? Les cartes sont détaillées, mais à quoi ça sert si au final, on fait tout sauté?
-Tu es bavard aujourd'hui, ma parole!
-La ferme!

Je soupirai en rangeant les cartes dans les poches intérieur de mon manteau, puis me tournai vers Sacha, attendant sa réponse.

Je ricanai. Anakeï était vraiment de mauvais poil. Si j'avais eu une once de compassion pour la victime du jour, je l'aurais presque plains pour ce qui l'attendait. Étonnamment, cette mauvaise humeur le rendait beaucoup plus éloquent qu'à son habitude et, si je ne le connaissais pas autant, j'aurais pu ajouté, moins malin... Ce dernier fait me surprenait légèrement. J'avais rarement à lui expliquer en détail quoique ce soit, puisqu'il captait aussitôt. Je n'aurais jamais penser que de nous présenter à cette petite libellule l'aurait tracasser à ce point. D'ailleurs, quelque chose clochait. Il devait y avoir autre chose. Ce n'était pas du tout son genre. À moins que ce soit l'idée d'avoir à obéir à un maître qui l'ait déconcentré. Tout ceci me semblait étrange, sonnait même faux. J'éclatai de rire. C'était bien la raison pourquoi Anakeï restait la seule personnage qui me soit supportable dans l'univers en entier. J'avais toujours du mal à interpréter son esprit et ce, malgré les innombrables années passés ensemble. Je replaçai une mèche de cheveux qui avait glissé devant mon œil valide, alors que mon acolyte me considérait d'un air blasé, les bras croisé sur la poitrine.

-Je ne t'aurais jamais cru aussi loquace, très cher! raillai-je. Ni aussi peu... dégourdi. Moi qui pensais que tu avais déchiffré mes intentions... Je suis plutôt déçu, tu sais! Attend... C'est une femme, c'est ça? Je le savais que quelque chose clochait. Je peux comprendre que tu ne sois pas dans ton assiette, mon pauvre...

Il me décocha un regard exaspéré qui signifiait à peu près «Mais, tu vas la fermer et me répondre, crétin?». Je souris.

-Puisque tu n'as visiblement pas compris, je vais t'expliquer, misérable cancre! Alors... Attention, tu es prêt? Je ne le répéterai pas deux fois! Alors, sois certain d'être...
-Mais, tu vas arrêter ces absurdités et me répondre, Que Diable!
-D'accord, d'accord. J'y arrivais! Alors, on ne fait pas tout sauté. Voilà!

Il arqua un sourcil, attendant un peu plus de détails. Je lui souris. Il me lança un regard assassin. Mon sourire s'étira un peu plus.

-Sacha!
-Quoi!? Pour les fois où je peux me payer ta tête, j'en profite!
-Si tu continues, je trouve le moyen de te faire sauter pendant ton sommeil.
-Bonne chance, camarade. En attendant ce jour lointain, je consent à t'expliquer sa requête. La petite As voulait, en fait, un peu plus que la mort de ce très cher je-ne-sais-plus-qui. Ce qu'elle désire... c'est son coeur.

-Bonne chance, camarade. En attendant ce jour lointain, je consent à t'expliquer sa requête. La petite As voulait, en fait, un peu plus que la mort de ce très cher je-ne-sais-plus-qui. Ce qu'elle désire... c'est son coeur.

Ah! Voilà donc ce qui clochait. Ça mettrait une entrave à mon travail d'artiste...quoi que...cela pourrait aussi devenir intéressant. Ça demandais un peu plus de calcul, voilà tout. Je réprimais un soupir m'autorisant à afficher une ombre de sourire en coin.

-Un coeur...

Celui-ci serait probablement plutôt du ressort de Sacha, puisqu'il s'agissait d'un rapprochement direct, mais c'était un spectacle qui en vaudrait la peine. Je me secouais. Pour une raison inexplicable, je n'appréciais pas particulièrement les présences féminines, mais Sacha avait raison, j'en devenais presque misérable. Pourquoi s'inquiéter d'une chose dont on ignore même la raison pour laquelle on la déteste? De plus, je ne supportais pas plus le reste de l'humanité, mis à part Sacha.

Je passait la ganse de mon sac par dessus mon épaule et me tournais vers une ouverture entre les branches des arbres. On pouvait y entrevoir une partie d'Euphoria, qui s'illuminait tranquillement tandis que la nuit tombait. Sacha s'approcha sur ma droite, ses lèvres tordues en un sourire sinistre. Sans attendre, je partais devant, descendant la côte, puis sautant dans les branches basses d'un arbre, pour monter un peu plus haut dans le prochain et ainsi de suite, en direction de la villa ciblée. Mes préparations prenaient légèrement plus de temps que celles de mon frère, mais je savais qu'il me rattraperait bien avant que les premiers feux d'artifices n'aient commencés.

Alors que je progressais en direction de l'immense villa, je réfléchissais à la technique d'approche que j'utiliserais. Subtile ou direct? D'ici, je voyais une énorme fenêtre sur le côté duquel se préparait Anakeï. Derrière, je distinguais une longue table et des chaises. C'était probablement une salle à dîner. Le genre où l'on recevait des invitées... Pourquoi ne pas y aller directement, mais de manière subtile? Je devais bien faire un peu connaissance avec lui! N'était-ce pas la moindre des choses, savoir au moins qui l'on tuait? Je souris. C'était bien plus une question de divertissement que de respect, mais quelle importance?

J'étais à présent non loin de l'entrée principale. La bâtisse était tout de même impressionnante avec ses murs d'un blanc immaculé et ses grandes baies vitrées. Autour, s'étendait un jardin atrocement bien ordonné et organisé prenant fin à la lisière de la forêt. Des fleurs presque sans défaut de toutes les couleur poussaient bien droite aux endroits prévus à cet effet. La pelouse était d'un vert parfait, tous les brins de la même hauteur. Tout était propre, pure, parfait. Je grimaçai. Tout cet ordre structuré me donnait envie de gerber. Je n'osais même pas imaginer l'intérieur de la maison. Cette requête allait définitivement être divertissante.

Je me levai, m'étirai, puis me dirigeai d'un pas décidé vers la porte d'entrée. Celle-ci était sculptée dans du bois foncé (je n'aurais su dire lequel, c'était plutôt la spécialité d'Anakeï) où étaient gravées des motifs de trèfles. Pourtant, ce n'était pas un homme de la royauté. Il s'agissait certainement d'un riche admirateur du souverain. Je ne devrais pas avoir trop de problèmes pour entrer. Je replaçai mon chapeau, frottai un peu mes vêtements, revêtit mon sourire le plus charmant et cognai. Quelques secondes plus tard, un domestique vint m'ouvrir la porte.

-Que puis-je pour vous, Monsieur? me demanda-t-il poliment.
-Bonsoir, mon brave. Je suis venu rendre visite à votre maître.
-Monsieur n'attendait personne, me répondit-il simplement sans me laisser entrer.
-Évidemment, puisque personne ne l'a prévenu. Le roi m'envoie prendre de ses nouvelles et lui adresser ses plus cordiaux remerciements pour ses précieux services.
-Dans ce cas, entrez, Sir...
-Sir Sacha. Je vous remercie, mon brave.
-Suivez-moi, je vous prie.

Je souris, emboîtant le pas du domestique. Rien de plus facile. Quel riche fanatique refuserait une visite d'un représentant de son bien aimé souverain. Le vieil homme s'arrêta devant de grandes portes ornées de gravures dorées et blanches, les poussa et me fit entré dans une gigantesque salle à dîner.

-Je vais vous annoncer à Monsieur. Quelqu'un viendra vous apporter du thé. Mettez-vous à votre aise, je vous en prie.

J'inclinai la tête en guise de remerciement et allai m'installer dans un confortable fauteuil situé au bout de la table. Une grande fenêtre laissait entrer les rayons du soleil qui illuminaient la pièce d'une lumière naturellement relaxant. Du coin de l'oeil, j'aperçus aussitôt Anakeï qui analysait la situation. Parfait, tout se déroulait comme je l'avais prévu...

Je posais mon dernier dispositif, qui débarrasserait l'immense cour arrière de l'énorme et luxueuse sculpture en son centre. Un dispositif qui ferait plus de dégâts que de morts, mais j'avais emmené trop d'explosifs et les ramener ne me disait rien. Je me relevais, apercevant Sacha par l'une des fenêtre de la villa. Il prenait le thé, tranquillement installé dans un fauteuil du petit salon. Je me déplaçais pour installer le détonateur lorsqu'un grognement retentit soudain, sur ma gauche.

Un gros chien de garde, apparemment bien entraîné, me fixait férocement. Je lui rendit son regard menaçant avant de pointer mon petit Glock 33 entre ses deux yeux. L'animal préféra soudain m'ignorer et rebroussa chemin sans un bruit. Je rangeais mon arme d'urgence comme je l'avais sortit et reportais mon attention sur mon détonateur. Après avoir connecté mes deux derniers fils, je me relevais, jetai un oeil par la fenêtre et croisais le regard de mon ''frère''. Sans plus perdre de temps, je sortais de la propriété en grimpant la clôture et m'éloignais de quelques centaines de mètres, ne manquait plus que le signal de Sacha pour finir le ''nettoyage''.

Confortablement installé dans le fauteuil moelleux, je croisai mes jambes, m'appuyai sur le bras de la chaise et considérai cette salle à dîner. Un impressionnant lustre fait de cristal pendait au-dessus de la table et brillait de mille feux sous les rayons du soleil, les murs blancs ornés de parures dorées étaient couverts par d'immenses portraits de la famille royale et le sol scintillait de propreté. Je passai mon doigt sur la table et l'approchai de mon œil valide. C'était bien ce que je pensais: d'une netteté impeccable. À ce moment, le domestique entra avec un plateau. Poliment, il posa son fardeau devant moi et me remplit une tasse de thé fumant. Après une courte révérence, l'ancêtre quitta la pièce, laissant le plateau sur la table. Je pris la tasse et l'admirai. Celle-ci était fait de porcelaine d'une excellente qualité d'une couleur légèrement crème et des trèfles verts et des spirales doré faisaient de ce simple contenant à liquide une véritable œuvre d'art. Je souris tout en prenant une gorgé. Thé de trèfle, infusé à la perfection. Je voyais déjà le personnage: fidèle adorateur de la lignée impériale, soumis et reconnaissant de l'absence de droit qu'on lui conférait. Le genre à étouffer sa petite famille dans son sommeil si le Roi le lui demandait, mais pas foutu de tenir une lame pour défendre sa propre misérable vie. C'était d'une tristesse à se tordre de rire. La porte s'ouvrit. Je tournai la tête vers l'homme qui faisait son entrée. Exactement comme je me l'imaginais. Fin trentaine, grand, mince, cheveux blonds noués à l'arrière de la nuque, moustache taillée parfaitement, sourire jovial et yeux éclairés d'une pathétique naïveté. Je lui rendis son sourire et me levai en re-déposant ma tasse.

-C'est un honneur de vous recevoir chez moi, Sir Sacha, dit-il avec respect et empressement.
-C'est plutôt moi qui est honoré d'enfin rencontré le fameux Aymeric de Chirac, lui répondis-je avec courtoisie tout en lui serrant la main avec fermeté.
-Je vous en prie, assoyez-vous!

Je lui souris et m'exécutai, alors qu'il faisait de même. Je pris une gorgée de thé, observant ses moindres mouvements. Aucun boitillement, aucune maladresse, aucune lourdeur, aucune cicatrice, pas de cernes, le teint pâle et bien entretenu. Comme je m'en doutais, ce n'était pas un soldat et encore moins un travailleur. De nombreuses bagues en tous genres garnissaient ses doigts. Une alliance, quelques anneaux sans importance et une dernière qui attira mon attention. Elle revêtait des armoiries très anciennes que je ne reconnu pas. Sa richesse était donc du mérite de ses ancêtres. Pourtant, je ne voyais aucune effigie autre que celle du souveraine et de son clan. Je ne m'étais pas trompé à son sujet. J'avais même visé en plein dans le mile. Je lançai un coup d'œil à Anakeï qui attendait toujours mon signal.

-Votre demeure est somptueuse! dis-je d'une politesse forcée.
-Mais, ce n'est point moi qu'il faut complimenter, mais plutôt le Roi qui a su apprécier mes ancêtres à leur juste valeur.
-Je n'y manquerai pas! D'ailleurs ce dernier vous envoie ses plus cordiales salutations et profonds remerciements pour tous vos services.
-J'en suis plus que ravie!

Cette discussion était d'un ennui mortel. Pourtant, mon interlocuteur semblait apprécier, même jubiler. Je ricanai intérieurement. Je voyais déjà la scène. Celle où je m'approcherais de lui, couteau à la main. Celle où il me regarderait les yeux emplis de terreur et de confusion. Celle où je le ferais saigner comme un porc. Celle où il hurlerait de douleur et me supplierait de le laisser en vie. Celle où je peindrais ces murs immaculés de son sang immonde. Celle où je lui retirais son coeur encore fumant et chaud de sa poitrine en lambeaux sanglants.

-Vous désirez d'autre thé, peut-être?

Je laissai planer un court silence.

-Jamais pendant le boulot, rétorquai-je en me levant souriant à pleine dent.

C'est alors qu'une colossale explosion éclata dans la cour arrière. La baie vitrée se brisa en des milliers de fragments de verre, le lustre s'écrasa violemment sur la table et tous les portraits tombèrent lourdement sur le sol. La porte s'ouvra à la volée sur la pièce en flammes. Sans même regardé je lançai un projectile. La seconde suivante, le vieil homme s'écroulait sur le sol, une dague plantée entre ses deux yeux exorbités. Aymeric me lança un regard horrifié et se précipita vers l'ouverture. Je secouai la tête de désapprobation. Normalement, je m'avançai vers la porte d'un pas gambadant. Le noble s'enfuit par le couloir. je passai la porte à mon tour et lançai un nouveau couteau sur un lustre qui s'abattit sur le fuyard.

-Rien ne sert de courir. Il suffit de partir à point. N'est-ce pas des mots remplis de sagesse? renchéris-je en haussant les épaules.

Je m'avançai vers lui qui gémissait et haletait. Je m'arrêtai et contemplai le tout. l'homme me regardait avec effroi tandis qu'il tentait vainement de s'extirper de sa prison. J'éclatai de rire. À ce moment, Anakeï apparut à l'autre bout du corridor et me rejoint, admirant son chef-d'œuvre. Les flammes léchaient avidement les murs à présent noircis dont les tableaux brûlaient aussi facilement que de l'écorce séchée. Je levai la tête vers lui.

-Comme cette demeure est somptueuse, n'est-ce pas, compagnon!? m'esclaffai-je, pris d'un soudain fou rire.

-Absolument, mon ami, il me tardai de pouvoir en admirer l'intérieur, répondis-je en levant les yeux vers le plafond.

Une nouvelle explosion fit trembler la villa en entier et le mur blanc incrusté de dorure soutenu par de luxueux madriers de bois, à ma droite, s'effondra vers l'extérieur, si bien que le jardin s'étendait maintenant sous nos yeux. La moitié en était encombré de débris, de plâtre et de poussière, ainsi que d'une mousse rose isolante, mais les rosiers qui tenaient encore debout en étaient d'autant plus magnifiés.

-Elle est encore plus jolie comme ça, dit Sacha en désignant les débris d'un ample mouvement de poignet. Il y a plus de clarté, vous ne croyez pas, mon cher?

De Chirac couina de frayeur tandis qu'une nouvelle explosion faisait hurler de terreur une femme, quelque part dans la villa. Je souriais légèrement.

-Je vous en pris, laissez-moi partir! Ne me tuez pas! S'il-vous-plaît, ayez pitié!!

Sacha éclata de rire. Le pauvre venait de signer son arrêt de mort. Une fillette apparue à l'angle du couloir, serrant un ourson dans ses bras. Ses cheveux blonds cendrés et parfaitement bouclés, ainsi que sa robe d'un vert trèfle m'évitais d'avoir à jeter un oeil à ses pavillons d'oreilles pour constater qu'il s'agissait de la fille du dénommé Aymeric. Je la dévisageait férocement et elle s'enfuie en courant, avant de disparaître dans une gigantesque nouvelle pétarade. ''Mauvais choix d'échappatoire'' pensais-je en observant la poussière retomber.

Sacha s'avança vers De Chirac, toujours piégé sous son lustre et je l'observait du coin de l'oeil. Les déflagrations se poursuivaient, apparemment dans le chaos, mais suivant tout de même une certaine logique, la mienne, et les cris des résidents et des serviteurs confondus confirmaient mes calculs. La villa se désintégrait rapidement, ne laissant que décombres et cadavres.

Je me tournais vers Sacha, décidant d'observer le coup de grâce.